Aux murs, au sol, un ensemble de terres cuites émaillées s’étirent entre peinture et sculpture, autant d’éléments de décor, d’ornements fragmentés, de visages également, et parmi eux les magiciens. Mais avant les murs, avant les sols, il y avait les carnets de dessin, des feutres et quelques stylos...
Au cœur de cet environnement de couleurs, de ces formes aux abords résolument décoratifs, on peut être surpris d’entendre Maximilien Pellet parler de « grammaire », de « répertoire », de « lexique » et même d’« abécédaire ». C’est pourtant par là qu’il faudrait commencer.
Avant les murs, avant les sols, il y avait les carnets de dessin, des feutres et quelques stylos, et des centaines de références, figures puisées ici et là – ici dans les encyclopédies illustrées que Maximilien collectionne, là dans les relevés archéologiques et autres reliques d’un art oublié. Il y avait les images glanées, le dessin et peu à peu la construction d’un vocabulaire de formes, d’une grammaire visuelle qui par la répétition devient lexique ornemental. Le dessin devenu ornement se cherche, s’étend et s’accumule, se répète et s’épure, jusqu’à ce qu’intervienne le carreau, qui découpe l’image et la prédispose déjà à sa future fragmentation. Car l’image n’est pas destinée à rester sur les carnets : elle doit rejoindre les murs, et puis les sols. Pour cela, elle doit passer par la terre.
Du dessin, Maximilien Pellet extrait des motifs, et les inscrit dans la terre : de l’argile liquide qu’il coule et dans lequel il vient peindre, qu’il travaille à la main – la surface conserve tous les effets de matière – et découpe ensuite, en morceaux qu’il cuit, émaille et assemble à nouveau. Il y a quelque chose de la magie dans cette inscription d’une image dans l’argile, dans l’action du feu qui en vitrifiant la surface la rend inaltérable, quelque chose du rite aussi : peut-être sont-ils là, les magiciens.
Les motifs se transforme ensuite, en mobilier dans l’espace, en colonnades de tableaux, d’ornements de chapiteaux devenus architectures. Les formes s’y déclinent comme un répertoire, appellent à un décodage peut-être, conduisent – leur titre nous y invitent – à projeter une narration : Les Trois escargots, Hippocampe, Le mystérieux parchemin, le motif se décrypte pour évoquer des images, et des histoires.
Alors, au delà des formes qui écrivent dans l’espace un certain langage visuel, au delà de ces standards nés de la répétition qui peu à peu voient naître un style, les œuvres de Maximilien Pellet nous projettent dans un imaginaire décoratif riche, deviennent les personnages d’un monde inconnu, d’une civilisation anonyme que nous sommes invité·es à découvrir.
Cette civilisation se trouve au confluent de références anciennes et de réécritures contemporaines. Au départ, il y a pour Maximilien Pellet la découverte de l’art pariétal, notamment des grottes de Lascaux et de Chauvet, et ce rapport de la peinture à la paroi, avec tout ce qu’elle véhicule de sens. Il y a ensuite la rencontre avec les arts précolombiens, la céramique, les motifs. Ou encore avec les arts de la Mésopotamie antique, les murs babyloniens de céramique, qui dans nos imaginaires transforment les espaces en
scènes de théâtre. Ces productions millénaires, il les approche souvent par le biais d’encyclopédies illustrées : les formes y passent au filtre du contemporain, des multiples styles du XXe siècle. Ces ponts entre les cultures et les représentations l’intéressent, qui créent des décalages et certaines tensions visuelles, qui subsistent à mesure qu’il intègre ces images dans son propre répertoire, et qu’il les transforme à nouveau.
Ceci étant dit, on pense évidemment à l’histoire de la modernité occidentale, à l’intérêt des artistes du début XXe pour les relevés de peinture pariétale, à l’influence de personnalités comme l’archéologue Leo Frobenius sur les artistes de Bauhaus, à la découverte souvent cannibale de formes d’art éloignées : en lisant les œuvres de Maximilien Pellet on croit reconnaître toutes ces formes, mais cela n’est pas tout à fait juste. En effet, si les artistes des avant-gardes européennes cherchent dans l’ancien une certaine origine de l’art, Maximilien Pellet s’intéresse quant à lui à la migration des formes, qui passent des grottes du Paléolithique aux toiles de Klee et Kandinsky, aux imageries populaires, aux arts décoratifs et à la pop culture, traversent les civilisations et se transforment. Il ne s’inscrit pas dans la même dynamique que l’avant-garde, il porte sur elle un regard critique – comme une prise de recule – et apporte à ces formes une nouvelle évolution en les intégrant à son travail.
Alors, tous ces personnages devenus ornements s’exposent, aux murs et aux sols, avec leurs vies et leurs histoires. Parmi eux nous déambulons, pas à pas les faisons voyager à nouveaux, par nos regards et nos paroles les rendons vivants, les mettons en mouvement : parmi eux nous déambulons, parmi eux les magiciens.